LA MECANIQUE SPATIALE SIMPLIFIEE (1)

DU REVE A LA REALITE

Aller vers les planètes est une ambition millénaire. La Lune particulièrement a tenté les voyageurs tant qu'une méconnaissance des vraies dimensions de l'Univers a fait croire qu'elle était le plus gros des astres, et ensuite parce que simplement elle était le plus proche et le plus propre à faire rêver.

Les Grecs imaginaient qu'on pouvait s'y rendre en chevauchant le cygne ou quelque autre animal noble, vautour ou aigle, ainsi que le rapporte Lucien de Samosate, auteur cynique (c'est-à-dire non-conformiste) du 2eme siècle, dans son " Histoire vraie ", qui n'était naturellement que de la fiction.

Plus tard, Cyrano de Bergerac, après avoir eu recours lui aussi aux oiseaux, inventa divers procédés non moins ingénieux, parmi lesquels " une grande boite fort légère mue par des fioles de rosée que le Soleil élève en humant", ou encore des feux successifs de salpêtre, ce qui était en somme la préfiguration de la fusée. Mais ce n'était encore que du roman.

Edgar Poè, au siècle dernier, dans l'une de ses " Histoires extraordinaires ", nommée " Aventure sans pareille d'un certain Hans Pfaall" éleva son homme jusqu'à la Lune grâce à un ballon, partant du principe que l'atmosphère n'a pas les limites que la science lui assigne, et que par conséquent rien ne saurait empêcher un ballon d'être porté par la poussée de l'air jusqu'à 380 000 kilomètres d'altitude.

Jules Verne, quelques dizaines d'années plus tard, allait embarquer ses héros, Michel Ardan et le professeur Barbicane, dans un obus craché par le plus gigantesque canon jamais construit, 275 mètres de longueur de tube, presque la hauteur de la tour Eiffel, pour le fameux voyage vers la Lune et autour de la Lune.

Le cinéma encore en première enfance exploita l'idée avec le " Voyage dans la lune ", de Georges Méliès, où un autre obus fait de tôles rivetées et chargé de savants cocasses en haut-de-forme allait taper dans l'oeil de l'astre des nuits.

H.-G. Wells enfin usa d'un procédé moins classe et d'une audace scientifique inouïe : l'invention d'un de ses héros Cavor, avait tout simplement pour effet d'effacer la pesanteur comme d'un coup de gomme. Grâce à quoi Cavor et son compagnon Bedford firent connaissance avec les habitants de la Lune, les Sélénites, au corps de fourmi. 

La solution Wells est de la pure imagination, les solutions de Cyrano et Lucien de Samosate sont de la joyeuse fantaisie. Les solutions de Poé et de Jules Verne sont en apparence plus sensées et plus matériellement réalisables. Mais elles n'ont jamais été réalisées.

LA PESANTEUR, NOTRE BOULET DE FORÇATS.

Ce qui nous retient à la Terre, c'est la pesanteur. Elle est comme un boulet attaché à nos pieds, dur à soulever, et qui constamment nous ramène vers le sol.

_ Du fait de la pesanteur, tous les corps, de quelque nature qu'ils soient, sont attires vers le centre de la Terre

_ Ils tombent tous également vite, la plume comme le plomb (on en fait l'expérience dans des tubes où l'on a réalisé le vide et sur la lune en 1972). Sinon, les corps les plus légers à volume égal seraient ralentis dans leur chute par la résistance de l'air.

_ La vitesse de leur chute s'accroît pendant tout le temps de cette chute, d'une valeur qui est la même pour tous. Cette " accélération" de la vitesse de chute, telle que nous la connaissons au niveau de la Terre, est de presque 10 mètres à la seconde par seconde. Une bille lâchée du haut de la tour Eiffel tombe avec une vitesse qui augmente de 10 mètres-seconde à chaque seconde. (La valeur exacte à Paris est de 9,809 mètres-seconde par seconde).

La force qui communique cette accélération s'appelle le POIDS. Elle varie naturellement selon la nature des corps et selon leurs dimensions.

Nature et dimensions sont ce qui appartient en propre à chaque corps, ce qui en lui ne change pas, ce qui le définit et qui détermine la " masse" du corps. L'homme reste immobile sur le sol de la Terre parce que le sol fait obstacle à sa chute, et qu'il oppose à la force "poids" une force égale et de sens contraire. La pesanteur existe partout sur la Terre, et elle est d'autant plus forte qu'on est plus près du centre d'attraction : le centre du globe. Ainsi, elle est plus faible à l'équateur (9,78 m/s par seconde) qu'aux pôles (9,83 m/s par seconde), car le rayon terrestre équatorial est un tout petit peu plus long. Ce qui veut dire que le poids d'un même corps est plus faible aussi à l'équateur qu'aux pôles, puisqu'à masse égale il communique une accélération moindre.

La pesanteur diminue à mesure qu'on s'élève en altitude et qu'on s'éloigne de la planète. Elle diminue même très rapidement, car elle est inversement proportionnelle au carré de la distance. Ainsi, à une distance du centre de la Terre égale à 2 rayons terrestres (soit 6 400 kilomètres d'altitude), elle est le 1/4 de sa valeur à la surface. A 3 rayons du centre de la Terre (soit 12 800 kilomètres d'altitude), elle est le 1/9, etc. Mais aussi haut qu'on s'élève, on ne peut pas dire qu'elle cesse jamais d'exister. A l'altitude de la Lune, soit 380 000 kilomètres, la pesanteur terrestre est toujours sensible. Ce qu'on comprendra facilement puisque, réciproquement, l'attraction de la Lune (qui est pourtant six fois plus faible que celle de la Terre) se manifeste sur la Terre en y provoquant les marées.

Jusqu'à environ un million de kilomètres, la pesanteur terrestre exerce son attraction. Au-delà, c'est celle du Soleil qui devient prépondérante. Ce n'est donc pas en montant sur une haute montagne que l'homme se trouvera débarrassé de son boulet et libéré de son poids.

L'ATMOSPHERE, NOTRE PRISON.

Pourtant, couramment nous luttons contre la pesanteur. Si nous lançons un caillou en l'air, il s'élève de cinq mètres par exemple, puis il retombe. Si nous le lançons plus fort, il s'élève de dix mètres puis il retombe. 
" Plus fort", qu'est-ce que cela signifie ? 
Le caillou étant le même dans les deux cas, comment s'est exprimée notre force musculaire ? 
Par un mouvement plus vif dans le second cas que dans le premier, c'est-à-dire par une plus grande VITESSE de lancement.

Ne peut-on pas augmenter encore cette vitesse, en se servant d'un canon au lieu du bras ? Naturellement. 
N'existe-t-il pas une vitesse telle au départ que le projectile puisse monter très haut, jusqu'à la Lune ? Théoriquement Si, et on la connaît. Elle est très exactement de 11,2 kilomètres à la seconde.

Seulement l'artillerie, même avec les plus gros calibres et les plus longs tubes (comme la " Grosse Bertha " qui tira sur Paris en 1918), avec les explosifs les plus puissants, n'a jamais réussi à obtenir des vitesses de lancement dépassant 1500 à 1 600 mètres à la seconde.

Disposerait-on de canons tirant à 16 kilomètres-seconde, le voyage vers les astres se heurterait tout de même à un obstacle infranchissable, l'atmosphère. L'atmosphère, c'est la masse gazeuse qui entoure le noyau solide de la Terre, c'est l'air sans lequel nous ne pourrions respirer et vivre.

Cette masse gazeuse présente une résistance à tous les véhicules qui la parcourent, et une résistance d'autant plus considérable que la vitesse de ces véhicules est plus élevée. Ce qui a amené à donner aux voitures roulant à 150 ou 200 kilomètres à l'heure une forme aérodynamique, leur permettant de s'insinuer plus facilement entre les filets d'air.  Sur les avions dépassant la vitesse du son (1 200 kilomètres à l'heure), la moindre tête de rivet dépassant de la carlingue provoque un freinage important. A des vitesses de l'ordre des kilomètres-seconde, le freinage par l'air atteint des proportions extraordinaires, si bien que le projectile est très rapidement stoppé. Dans le choc avec les molécules gazeuses, il se dégage une énergie calorifique telle que le métal peut entrer en fusion.

Cela se serait en tout cas immanquablement produit à bord de l'obus de Jules Verne lancé à 16 kilomètres-seconde. 

Il existe un autre moyen de s'élever au-dessus de la Terre plus doucement c'est l'aérostation, comme le le ballon d'Edgar Poè, ou, l'hélicoptère. Mais c'est un moyen dans lequel on utilise l'atmosphère. Le ballon est une espèce de bulle de gaz léger portée par l'air, gaz plus lourd. L'hélicoptère repose sur les couches de l'air par la rotation de ses pales.

C'est donc un moyen qui ne vaut que tant qu'il y a de l'air. Or, l'atmosphère va en se raréfiant à mesure qu'on s'élève. A 18 kilomètres d'altitude, la densité de l'atmosphère n'est plus qu'à 1/10 de sa valeur au niveau de la mer. Elle n'est plus qu'à 1/100 à 30 kilomètres, plus qu'à 1/1 000 à 50 kilomètres, et à un millionième à 120 kilomètres. Pour la pratique des voyages dans l'espace, on considère qu'à 200 kilomètres d'altitude, on se trouve dans les conditions du vide quasi absolu. Ce qui signifie que ni ballon ni hélicoptère n'y auraient la moindre molécule de gaz pour prendre appui, et que, par conséquent, les voyages dans l'espace par cès engins-là sont impossibles. Donc, deux obstacles à vaincre la pesanteur et le freinage de l'atmosphère. En avons-nous les moyens ? 
Curieusement, nous allons découvrir la solution du problème de la pesanteur terrestre... en regardant le ciel.

DANS L'UNIVERS, VITESSE ET MOUVEMENT

Les lois qui régissent l'Univers sont celles de la gravitation universelle. L'Allemand Kepler les avait entrevues quand, au début du 17e siècle, il formula les trois lois sur le mouvement des planètes. L'Anglais Newton, en 1687, les établit dans leur forme la plus générale, quand il énonça les trois axiomes du mouvement, valables pour tous les corps, y compris les corps célestes. La légende rapporte que la lumière lui en vint après qu'il eût reçu sur le visage, pendant son sommeil, une pomme tombée d'un arbre. Ce petit incident l'aurait incité à se demander comment il se fait que, comme la pomme, la Lune ne tombe pas sur la Terre, et comment il se fait que la T'erre ne tombe pas sur le Soleil.

Le Soleil, étoile parmi des myriades d'étoiles, est le centre du système solaire. Autour de sa masse énorme tournent les planètes, d'autant plus vite qu'elles sont plus proches de lui. Mercure, qui en est le plus près, à 55 millions de kilomètres, tourne à 47 kilomètres-seconde. Pluton, qui en est le plus loin, à près de 6 milliards de kilomètres tourne à 4,7 kilomètres-seconde seulement. La Terre, à une distance de 150 millions de kilomètres, tourne à près de 30 kilomètres-seconde. Si la Terre s'arrêtait soudain de tourner, ce serait la chute vers le Soleil, car le Soleil, dont la masse est considérable, exerce une attraction sur tous les autres corps du système solaire. Mais la Terre, ni aucune des autres planètes, ne tombe sur le Soleil. Les effets sur elles de l'attraction solaire sont combattus par leur vitesse. La force centrifuge due à cette vitesse tend à les écarter du centre du système, de même que dans un virage une voiture rapide tend à déraper vers l'extérieur de la courbe. 
Force centrifuge due à la vitesse et force centripète due à l'attraction de l'astre s'équilibrent. Plus une planète est loin du Soleil, moins elle est sensible à son attraction. Par conséquent, moins il est nécessaire qu'elle tourne vite. Ce qui est vrai autour du Soleil l'est aussi autour des planètes qui ont des satellites. C'est le cas de Neptune, d'Uranus, de Saturne, de Jupiter (qui en plus de 20), de Mars et de la Terre. La Lune, notre satellite, à une distance de 380 000 kilomètres, tourne à la vitesse de 1 kilomètre-seconde, ce qui lui permet de résister à la pesanteur terrestre. A toutes autres distances de la Terre (dans les limites de son attraction) pourraient exister d'autres lunes, qui devraient simplement tourner d'autant plus vile qu'elles seraient plus proches de notre globe. La plus proche, au niveau de son sol, devrait tourner à la vitesse de 7,89 kilomètres à la seconde. C'est ce qu'enseignent les lois de la Gravitation Universelle, mais elles ne donnent pas la recette pour fabriquer des lunes et des planètes.

DU CAILLOU AU SPOUTNIK.

Supposons qu'il existe une montagne qui ait plus de 200 kilomètres d'altitude, qui perce par conséquent entièrement l'atmosphère et ait son sommet dans le vide absolu, où il n'y a plus d'air du tout, donc plus de freinage possible. Supposons que nous y puissions monter.

Là-haut, nous allons lancer un caillou à l'horizontale, droit devant nous. Le caillou va tomber après avoir décrit une courbe gracieuse. Pourquoi?
Notre force musculaire, seule, communiquerait au caillou un mouvement rectiligne uniforme horizontal. La pesanteur, agissant seule, attirerait le caillou verticalement vers le bas avec une vitesse croissant proportionnellement au temps. A chaque instant, la direction et la valeur de la vitesse réelle du caillou est un " compromis " entre ces deux vitesses, une " résultante" de plus en plus inclinée. La trajectoire qui en chaque point est tangente à cette résultante est donc une courbe d'autant plus vite rabattue que la vitesse horizontale initiale est plus faible.

Lançons maintenant le caillou plus fort. Ce qui signifie, nous l'avons vu, plus vite. La flèche est cette fois plus longue, la flèche représentant la pesanteur demeurant égale. Chaque compromis sera donc moins avantageux pour la pesanteur, chaque résultante moins inclinée vers le bas. La chute du caillou se fera donc selon une courbe plus allongée. Et ainsi de suite en augmentant les vitesses de lancement. Supposons que nous ayons pu hisser un canon en haut de cette montagne de 200 kilomètres d'altitude. Supposons qu'il soit capable de performances bien supérieures à celle de l'artillerie actuelle. Les obus qu'il tire à des vitesses de plus en plus grandes décrivent des courbes de plus en plus allongées avant d'aller s'ecraser à terre.

N'existe-t-il pas une vitesse si grande que la courbe décrite par le projectile soit d'un diamètre supérieur au diamètre de la Terre elle-même, atmosphère comprise ? Si... C'est 7,86 kilomètres à la seconde.

Tiens. Mais cela ressemble fort aux 7,89 kilomètres-seconde indiqués par les lois de la gravitation universelle comme vitesse d'une lune qui tournerait au plus près du sol terrestre La différence vient simplement de ce que nous sommes à 200 kilomètres d'altitude, que la pesanteur y est moindre qu'au niveau du sol, et que la vitesse nécessaire pour obtenir l'équilibre entre force centrifuge et force centripète y est moindre aussi.

Nous avons, partant d'un caillou, rejoint la mécanique céleste. La course du projectile lancé à 7,86 kilomètres-seconde est une chute absolument comme les autres. causée par la pesanteur terrestre. Mais la pesanteur agissant sur le mouvement rectiligne communiqué au départ du projectile ne réussit jamais à créer que des résultantes qui sont tangentes chaque fois à la courbure de la Terre. La chute se fait de telle manière que le projectile tombe constamment à côté de la Terre, et il tombe de la sorte tout autour de la Terre. Si bien qu'il finit par revenir a son point de départ. La boucle est bouclée, et peut recommencer.

Voilà la Lune artificielle placée sur son orbite... Or, s'il n'était pas interdit de supposer qu'un jour le progrès technique puisse doter l'artillerie d'explosifs capables de communiquer à un projectile une vitesse de près de 8 kilomètres-seconde, les autres suppositions étaient absurdes. Particulièrement, il n'existe pas de montagne dont le sommet atteigne les 200 kilomètres nécessaires. Les 8 875 mètres de I'Everest nous laissent loin du compte. Pas question, d'autre part, de monter un canon à 200 kilomètres d'altitude, hors de l'atmosphère, par le moyen du ballon, ou de l'avion, ou de l'hélicoptère puisqu'ils ne peuvent fonctionner hors de l'atmosphère. Mais voila que depuis près de 50 ans des engins, les satellites tourne au dessus de nos tête. L'engin capable de lancer de telle satellite est la fusée.   

 

MECANIQUE SPATIALE, partie 2