PIONNIERS ET SCIENCE FICTION
Pour la jeunesse qui vient de vivre le
cauchemar du premier conflit mondial, le souci essentiel est de vivre. Et faute
de disposer, en ces années d'après guerre, de moyens pour bien vivre, le rêve
constitue un refuge. On se met donc à rêver d'évasion lointaine, de voyages
interplanétaires, aidé en cela par une abondante littérature de
science-fiction et par un cinéma qui accède à la maturité. Ce phénomène
culturel, auquel s'ajoute la renommée croissante des pionniers de
l'astronautique - Konstantin Edouardovitch Tsiolovski, Hermann Oberth, Robert H.
Goddard, Robert Esnault-Pelterie- va marquer toute une génération qui sera à
l'origine du développement spectaculaire des fusées à la fin des années
trente qui ouvrira la voie à la conquête de l'espace. La plupart des écrits
de la périodes de l'entre-deux-guerres sont très nettement empreints de
science-fiction, Tsiolkovski, Oberth, Goddard et Esnault-Pelterie envisagent
nettement dans leurs ouvrages la réalisation de fusées et de leurs composants;
à l'exception de Tsiolkovski, ils vérifient même leurs théories par l'expérimentation. En 1903, le père de l'astronautique russe Konstantin Tsiolkovski (que les russes appellent Tsiolkewski), alors modeste instituteur de province, publia ses premières hypothèses concernant l'exploration de l'espace interplanétaire. Il inventa le "moteur-fusée" à combustion liquide (grâce aux hydrocarbures) et les "trains-fusées cosmiques", c'est-à-dire les fusées à étages, donnant ainsi le coup d'envoi d'une nouvelle science, ce qu'on appelait alors "l'astronautique fuséenne". Considéré par la suite comme
un remarquable inventeur et ingénieur, Tsiolkovski était 10 ans en avance sur
la France, 16 ans sur les Etats-Unis et 20 ans sur l'Allemagne, où l'idée du
satellite artificiel en orbite autour de la Terre fut également avancée,
respectivement par R.Esnault-Pelterie, R.Goddard et H.Oberth. Tsiolkosvki
fournit un gros effort de création et publia 675 ouvrages à caractère
technique ou technico-philosophico-idéologique ! C'est toutefois avec Robert H.Goddard que
l'étude approfondie, scientifique et technique, des fusées débute vraiment.
Né en Roumanie, mais de langue allemande, Hermann Oberth à joué en Allemagne un rôle important dans l'avènement des fusées. Plus théoricien qu'expérimentateur, il propose dès 1917 au ministère de la Guerre allemand d'étudier un missile balistique à propergol liquide, à longue portée, proposition qui est vraisemblablement la première du genre faite à un gouvernement. Mais les militaires déclinent l'offre. Oberth se tourne alors vers l'étude des fusées pour les voyages interplanétaires. En 1923, il décrit des fusées qui comportent un réservoir pour le comburant et un autre pour le combustible, et une fusée à deux étages, le premier utilisant l'oxygène liquide et l'alcool, le second, le couple oxygène-hydrogène liquide; il imagine, en outre, le guidage inertiel avec des gyroscopes et des accéléromètres. Les concepts de propulsion, de guidage et de définition des fusées émis par Oberth étaient si fondés qu'ils seront, quelque vingt années plus tard, pour la plupart appliqués au V2 allemand, le premier missile balistique opérationnel de l'histoire. L'activité expérimentale qu'il déploya resta limitée mais originale. Les délais qui lui sont impartis, trop limités, font échouer un projet, mais il parvient néanmoins à réaliser un petit moteur-fusée, la Kegeldüse. Les essais de ce moteur ont lieu le 23 juillet 1930: il fonctionne pendant 96,4 s, délivrant une poussée maximale de 7 déca-Newtons. Les sociétés d'astronautique Dans les années 1920, et plus plus
particulièrement au cours de la seconde moitié de la décennie, un engouement
pour l'astronautique prend naissance et de nombreux groupes ou sociétés se
forment, au sein desquels sont abordés les divers aspects du voyage spatial et
des fusées. Un objectif primordial apparaît: construire des fusées. Cet élan
touche toutefois davantage l'Allemagne que les autres pays. La plus célèbre
des sociétés d'astronautique de cette époque est, sans conteste, le Verein
für Raumschiffahrt, ou V.f.R., créé le 5 juillet 1927 à Breslau. Parmi ses
membres fondateurs figurent notamment Johannes Winkler, Max Valier et Willy Ley,
qui acquerront la renommée quelques années plus tard. Bien que le V.f.R. ait
des ressources financières faibles, il devient vite très actif. Dans sa lutte avec la fusée à ergols
liquides, la fusée à poudre n'avait pas abdiqué: la veille même du jour où
Winkler effectuait sa "première" européenne, une fusée à propergol
solide réalisée par Karl Poggensee s'élevait à 450 mètres dans la banlieue
de Berlin; le mois suivant, l'Allemand Reinhold Tiling réalisait six fusées à
poudre noire dont l'une culmina à l'altitude record de 9500 mètres, et, en
juillet 1931, l'Autrichien Friedrich Schmiedl effectuait des essais de fusées
à poudre destinées à transporter du courrier. Cependant, les performances des
fusées du V.f.R. sont améliorées. Aux Etats-Unis, d'autres organisations voient le jour, telle la Cleveland Rocket Society. De 1936 à 1939, un aspirant de l'Académie navale des Etats-Unis, Robert C.Truax, construit et essaye de petits moteurs-fusées à propergol liquide. En Grande-Bretagne, la British Interplantary Society est fondée en 1933 mais ses activités restent théoriques, une vieille disposition de 1875, l'Explosives Act, interdisant les essais de fusées. A l'image de la Grande-Bretagne, d'autres sociétés voient le jour au Japon, aux Pays-Bas et même en Argentine. En France, les années vingt et trente sont essentiellement marquées par Robert Esnault-Pelterie. Après avoir mené des études théoriques, il propose dès 1928 aux responsables militaires français un plan pour la constitution d'une force de missiles balistiques et, au cours de la décennie 1930, il obtient plusieurs contrats pour réaliser des moteurs à propergol liquide et des propulseurs à poudre destinés à accélérer les bombes. Au début des années trente, il réalise dans son installation un moteur aux performances remarquables pour l'époque: 100 déca-Newton de poussée pendant une minute et une impulsion spécifique de 230 secondes. De plus, il apporte des solutions aux problèmes thermiques rencontrés: utilisation de matériaux réfractaires, refroidissement par l'oxygène liquide. Dans ces années d'avant guerre, l'Union Soviétique ne reste pas étrangère à ce domaine qui s'ouvre. A partir de mai 1929, Valentin Petrovitch Glouchko met en place au Laboratoire de dynamique des gaz de Leningrad, fondée en 1921, une équipe chargée d'étudier la propulsion par moteurs-fusées à propergol liquide. En 1931, le moteur ORM-1, de 20 déca-Newtons de poussée et fonctionnant au peroxyde d'azote, effectue avec succès ses premiers essais. Puis une série de moteurs à acide nitrique et à kérosène est développée. Une poussée de 300 déca-Newtons est atteinte en 1933 avec l'ORM-52, et une première fusée RLA-1 peut alors être envisagée pour faire les essais de ce moteur. Parallèlement, l'administration soviétique met en place de nouvelles structures d'études et de développement. Un président est nommé, Sergueï Pavlovitch Korolev. Dans ce nouvel organisme, financé par l'Office des inventions militaires, trois sections sont créées, l'une pour l'étude et la mise au point de missiles balistiques à propergol liquide, l'autre pour la réalisation de statoréacteurs et d'installations d'essais de dynamique des fluides, la troisième pour l'étude d'avions à réaction et de missiles dotés de voilure. En cette année 1932, les Soviétiques venaient, quelque quinze années avant les Américains, de se donner les moyens de disposer, à terme, de missiles balistiques et de lanceurs spatiaux. A la veille de la seconde Guerre mondiale, l'activité se tournera davantage vers les missiles aérodynamiques à voilure et les avions-fusées que vers les missiles balistiques proprement dits. La réalisation la plus connue de cette époque demeure le planeur-fusée RP 318-1, qui effectue son premier vol propulsé le 28 février 1940. Kummersdorf, ou la clairvoyance des militaires allemands Un colonel de l'armée allemande, Karl Emil
Becker, qui avait participé aux travaux du balisticien fort connu Carl Julius
Cranz, avait décidé en 1929 de faire évaluer les possibilités d'utiliser
militairement les fusées. L'étude fut confiée au capitaine Walter Dornberger,
qui venait de prendre ses fonctions au Heereswaffenamt. Il fut alors décidé
d'étudier et de mettre au point une fusée à poudre légère et économique,
d'une portée de 5 à 9 kilomètres, et de mener des travaux théoriques sur les
fusées à propergol liquide. En fait, la décision de l'armée allemande
relevait autant de considérations opérationnelles que de considérations
politiques. Le traité de Versailles avait, en effet, imposé à l'Allemagne des
contraintes sévères en matière d'armement, mais il ne comportait aucune
clause interdisant le développement et la fabrication de missiles. Les
militaires allemands virent là une opportunité à saisir. Peenemünde, le creuset des armes nouvelles Le groupe de Kummersdorf arrive en avril 1937 à Peenemünde, sur les bords de la mer du Baltique. Von Braun à vingt-cinq ans. Il devient directeur technique du Centre de recherches sur les fusées de l'armée de terre. De 1937 à 1944, une intense activité de recherche militaire sur les fusées va se développer à Peenemünde. D'un côté, la Lufwaffe y entreprend la construction de divers types de missiles air-air, sol-air et sol-sol; de l'autre, la Wehrmacht s'engage dans la voie des missiles sol-sol avec le V2, dénomination opérationnelle de la fusée A4. Avant d'arriver à la définition du V2, les techniciens de Peenemünde s'étaient engagés dans la résolution des divers problèmes fondamentaux qui se posaient, problèmes relatifs essentiellement à l'aérodynamique, à la propulsion et au guidage. Des investissements considérables avaient été réalisés, notamment des tunnels de tir, des souffleries et des bancs d'essais statique des moteurs. A la fin de la guerre, plusieurs milliers d'ingénieurs et de spécialistes travailleront à Peenemünde sur les fusées. Mais pour l'heure, la première des tâches consiste à essayer en vol la version A3. Les résultats sont si satisfaisants qu'en 1938 les militaires peuvent exprimer le besoin d'un missile capable d'emporter un tonne d'explosif à 300 kilomètres. Ainsi va naître la version A4. Les premiers calculs montrent que ce nouvel engin devra peser environ 12 tonnes et qu'il faudra disposer d'un moteur d'une poussée de l'ordre de 25 000 déca-Newtons, ce qui représente au saut de performances important. Pour passer du A3 au A4, une étape intermédiaire doit donc être franchie, celle de la version A5, qui permettra de tester les solutions envisagées. Lors de son premier tir vertical, au cours de l'été 1939, le A5 atteint une altitude de 12 000 mètres, considérable pour l'époque. Le conflit qui vient alors de se déclencher rend encore plus pressantes la réalisation et l'utilisation de missiles de différents types dont les études sont engagées depuis quelques années. Les budgets et les moyens de Peenemünde s'accroissent, mais la technique est capricieuse. Le 13 juin 1942, le premier lancement du A4 se solde par un échec. Le 16+ août, un deuxième A4 est lancé. Bien que cet essai ne soit pas totalement satisfaisant, une performance remarquable a été accomplie car, pour la première fois, un engin fabriqué par l'homme à dépassé la vitesse du son. Au troisième lancement, le 3 octobre 1942, le succès est complet. Pendant une minute, le moteur délivre la poussée attendue. Une altitude de 80 kilomètres et une portée de plus de 190 kilomètres sont atteintes. Peu de mois après, la production en série du A4 débute à quelques kilomètres de Peenemünde, puis est transférée dans le centre de l'Allemagne, où elle est prise en main par la S.S. En 1944 et 1945, plus de 5000 A4 devenus V2 seront construits. Le 6 septembre 1944, le premier missile V2 opérationnel tombe sur la région parisienne. Deux jours plus tard, l'offensive des V2 contre le sud de l'Angleterre est déclenchée. La fusée a donc pris réellement son essor au cours de cette période. De nombreux types exclusivement à usage militaire sont développés en Allemagne; citons les missiles Enzian, Rheintochter, Schmetterling, Rheinbote, Wasserfall et le projet A9/A10. La propulsion des avions par moteur -fusée a aussi progressé. Quelques exemplaires d'avions-fusées seront opérationnels durant les derniers mois du conflit.
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